23.11.2024 Collection Tips

Conservation et Restauration

par Stephanie Dieckvoss

Tips for Collectors

Dans l’idée collective, la restauration est perçue à travers le prisme des actualités médiatiques qui relatent la découverte d’un chef d’œuvre sous de multiples couches de vernis ou enfouie dans un grenier – après respectivement un nettoyage minutieux ou la réalisation de travaux dans une maison.

Les maisons de vente comme les musées opèrent souvent des réattributions après le travail approfondi de restaurateurs spécialisés. Un des exemples est l’Autoportrait de 1635 de Diego Velázquez du Metropolitan Museum of Art de New York : c’est seulement après une restauration complète que le tableau a pu être réattribué à son maître en 2009 (link). 

De manière similaire Le Christ en Tant Qu’homme de Douleur de Sandro Botticelli a été vendu par la maison Sotheby’s New York à la fin de 2021, juste après avoir été attribué à l’artiste italien. Le tableau - vendu comme un Botticelli – a rapporté 45 millions de dollars alors qu’il avait été acheté seulement 10 000 livres puisqu’auparavant attribué à un disciple du maître italien. link) 

Si tout le monde rêve de trouver un chef d’œuvre sous des couches de poussière et/ou de peinture dans un grenier, on oublie trop souvent que l’art contemporain nécessite aussi beaucoup de soin et quelquefois il est bon d’avoir recours à un restaurateur pour assurer sa conservation dans le temps. L’avantage des tableaux des Grands Maîtres est qu'ils ont déjà survécu à des centaines d'années et que la toile/ ou le panneau avec leurs couches d'huile sont des supports bien connus et généralement relativement faciles à restaurer, surtout s'il s'agit d'enlever les vernis, lesquels ont souvent été ajoutés par la suite.

Les matériaux du XXe siècle avec l'explosion de l'offre tant sur les peintures, sur les supports que sur le reste, sont une toute autre affaire lorsqu’il s’agit de restauration. Les collectionneurs doivent être conscients de ce qu'ils achètent, connaître la nature de l’œuvre pour savoir comment la conserver, ou encore, évaluer les processus de changement susceptible de l’affecter et qui font partie de l'œuvre. En outre, les facteurs environnementaux, la lumière, l'humidité, la température, etc. doivent être considérés. Le changement climatique étant devenu un sujet  quotidien, son impact sur l'art pourrait l'être aussi et il sera essentiel de prendre à terme davantage de précautions.

La plus célèbre détérioration de médium de l’histoire de l’art du XXe siècle concerne probablement les Polaroïds d’Andy Warhol. Les Polaroids souffraient de dommages courants, à savoir une perte de vitalité des couleurs allant jusqu’à la décoloration. Déjà en 1983, l’entreprise fournissait elle-même un guide sur comment stocker, manipuler et préserver les Polaroids. (Botticelli, Peter. "Preserving Artworks Digitally: The Case of Andy Warhol’s Polaroid Photographs" Preservation, Digital Technology & Culture, vol. 44, no. 3, 2015, pp. 123-134. Link).

Alors, que peuvent faire les collectionneurs pour assurer la transmission de leurs œuvres d’art d’une génération à l’autre ?

Conservation depuis le début

Annett Quast, Conservatrice, Munich:

«Le meilleur moyen de protéger sa collection est d'en prendre soin de manière adéquate dès le départ : Travaillez par exemple avec une entreprise spécialisée dans le transport d'œuvres d'art. Ne vous fiez pas à l'emballage, assurez-vous qu'il est convient bien et discutez à l'avance de l'assurance transport. Si vous collectionnez des gravures, veillez à ce qu'elles soient montées et encadrées conformément aux normes d'archivage. Les œuvres sur papier et les photographies doivent être encadrées derrière un verre anti-UV. Il est important qu'aucune lumière solaire directe ne tombe sur ces œuvres, mais faites également attention au fait que les murs exposés au nord peuvent être plus humides. Ne stockez jamais d'œuvres sur le sol. Et surtout - Ne nettoyez pas les œuvres et dites à votre aide-ménagère : ne touchez pas ! »

  1. Chaque collectionneur devrait avoir des réflexes de base : Il faut évaluer ce qui est le plus important pour vous : Conserver les œuvres d'art dans des conditions dignes d'un musée ou vivre avec elles (tout en étant conscient des risques). Cela peut signifier que les dessins et autres œuvres sur papier doivent être conservés dans des pièces plus sombres, voire non encadrés dans des tiroirs, et que les photographies doivent être protégées de la lumière directe du soleil. Vous pouvez aussi vous contenter de veiller à ce que l'humidité et la température soient relativement stables et de protéger les œuvres sur papier en les encadrant avec du verre de qualité musée et un support adéquat, par exemple. Tout en étant conscient que l’exposition des œuvres suggèrent une prise de risque quant à leur préservation.
  2. Soyez prudent sur la manière dont vous nettoyez la vitre de protection. Nombreuses œuvres sont endommagées par les résidus de produits de nettoyage qui s'accumulent dans les cadres et s'infiltrent dans les œuvres. Si vous avez quelqu’un qui vous aide au nettoyage, assurez-vous de lui faire une liste de choses à faire et à ne pas faire.   La collectionneuse américaine Agnès Gund a raconté que sa femme de ménage avait jeté la boîte en carton des Nine Packed Bottles de Christo (Louisa Buck et Judith Greer, Owning Art, 2006, p. 207), mais qu'elle avait réussi à la retrouver rapidement (Link).
  3. Ne touchez pas vos sculptures à mains nues - pensez aux conseils donnés dans les musées et les galeries - car les mains peuvent laisser des traces avec le temps, même sur le bronze ou la pierre.
  4. Si vous installez des œuvres en extérieur, soyez sûr(e) qu’elles soient correctement fixées et installées par le transporteur ou l’artiste.
  5. Souvenez-vous que les œuvres digitales requièrent d’être prudent. La prudence vis-à-vis des œuvres n’implique pas seulement le medium lui-même (comme des films, des photos, des fichiers, etc.) mais aussi le matériel d’affichage et de conservation. Vous ne voudriez avoir un film sur un fichier que vous ne pourriez plus lire dix ans plus tard.
  6. En cas de doute, renseignez-vous auprès de la galerie, de l'artiste ou même de la maison de vente aux enchères auprès de laquelle vous achetez, sur la meilleure façon de prendre soin de votre objet. Sachez que certaines œuvres changent en vieillissant, et que cela peut être dans l'intention de l'artiste.

«Un collectionneur d’art contemporain ne doit pas être effrayé par des questions relatives aux matériaux utilisés. En définitive, on collectionne par passion, par plaisir et on vit avec les œuvres que l'on aime. Cependant, il est également important de penser aux soins que suggèrent une collection. Il est donc primordial de poser des questions avant d'acheter une œuvre d'art, que ce soit directement à l'artiste, à un galeriste ou à un restaurateur de confiance. Si vous achetez pour quelqu’un, demandez un rapport d'état et jugez par vous-même, ou avec l'aide d'un restaurateur, de l'état réel de l'œuvre, afin de ne pas avoir de mauvaise surprise.» Annett Quast.

  1. Certains matériaux se détériorent car ils n'ont jamais été conçus pour durer éternellement : les matières organiques peuvent moisir, le stylo peut s'effacer, le plastique peut se décolorer ou se fissurer, les peintures peuvent ternir, etc. Tous les sols ne sont pas stables, et certaines parties des œuvres peuvent se détacher. L'art contemporain ne survivra pas toujours. Sachez ce que vous pouvez attendre des œuvres que vous achetez.

Mais que faire lorsque les choses tournent mal et qu'un objet est endommagé?

Restauration

  1. Sachez qu'une œuvre achetée sur le marché secondaire peut avoir déjà subi des restaurations. Avant d'acheter n’hésitez pas à faire des recherches et à consulter un restaurateur. Mme Chevalier décrit cette question relativement fréquente à laquelle elle doit faire face : «Pour les tableaux anciens ou l'art moderne, les problèmes récurrents concernent leur dé-restauration. Le plus difficile est d'enlever les matériaux apportés par une restauration antérieure, comme l'enlèvement  de cerne, de repeints huileux ou de vernis synthétiques. Les matériaux vieillissent en libérant des polluants, il est important de revenir à la stratigraphie d'origine (intégrité des matériaux), dans la mesure du possible.»
  2. Travaillez absolument avec un restaurateur professionnel ou a minima un restaurateur qui vous aura été recommandé - c'est l'une de ces professions qui ne sont pas réglementées dans tous les pays. Si vous voulez vous assurer que votre œuvre ne subira aucun dommage supplémentaire il est important de sélectionner l’intervenant. Vous pouvez vous adresser à des restaurateurs qui vous auront été recommandés, à des associations de restaurateurs, à un musée ou même à votre assureur d’art, car il dispose de listes de restaurateurs.

La restauratrice française Aurélia Chevalier recommande : «Dans chaque pays, il existe des répertoires de conservateurs qualifiés auxquels les collectionneurs peuvent se référer (SKR/SCR en Suisse ou la FFCR en France.) Les conservateurs qualifiés ont reçu un enseignement technique, historique, et scientifique lequel est très important. Le restaurateur intervient sur les matériaux et peut les modifier pour toujours. Pour être certain de son choix, le collectionneur peut demander au restaurateur : quelles sont les conséquences de la restauration sur la conservation à long terme de l’oeuvre?»

  1. Si un accident survient, prévenez immédiatement votre assurance, et prenez une photo des dégâts, sans déplacer l’objet dans l’idéal. Contactez ensuite un restaurateur pour obtenir de l'aide. Avec un peu de chance, ce ne sera pas aussi grave que lorsque le magnat du casino texan Steve Wynn avait enfoncé son coude dans son tableau Le Rêve de Pablo Picasso (Link). Mais même cela a été réparé par un restaurateur expérimenté.

Résumé

Mme Chevalier recommande: «l’histoire d’amour avec une œuvre d’art est la chose la plus importante, mais se renseigner sur l’état de conservation est tout aussi important. Chaque vente devrait être accompagnée d’un rapport d’état et de conseils de conservation».

C’est important de voir la conservation comme un élément naturel du process de collection. En plus d'une assurance adéquate, le fait de connaître les directives de base en matière de conservation assure la prospérité de la collection. La connaissance de bons conservateurs et restaurateurs locaux et une bonne relation avec eux ne sont pas seulement importantes pour les grandes collections, et peuvent aussi aider un plus petit collectionneur à s'assurer que le travail est bien pris en charge.

N'ayez cependant pas peur de l'art contemporain et de ses matériaux. L'artiste allemand Joseph Beuys a déclaré cette phrase souvent citée : «La nature de mes sculptures n'est pas fixe et finie. Les processus se poursuivent dans la plupart d'entre elles : réactions chimiques, fermentations, changements de couleur, pourriture, dessèchement. Tout est en état de changement »(Link). 

Le plus important, c'est de vous impliquer dans vos œuvres d'art, de les regarder tous les jours et de leur prêter attention. Vous remarquerez alors si les choses changent.

Informations complémentaires:

Restaurateurs cités:

http://www.anettquastrestaurierung.de/

www.aureliachevalier.com

Ressources sur le web:

https://www.tate.org.uk/research/reshaping-the-collectible/research-approach-conservation

https://www.moma.org/momaorg/shared/pdfs/docs/explore/emergency_guidelines_for_art_disasters.pdf

https://www.widewalls.ch/magazine/contemporary-art-conservation

https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-julia-stoschek-extreme-care-takes-build-new-media-art-collection

https://www.ft.com/content/784994a0-cb31-44cf-98e3-ae9b563edc92

https://makingamark.blogspot.com/2019/01/how-art-conservator-cleans-restores-old-paintings.html

https://www.myartbroker.com/collecting/guides/a-guide-to-restoring-and-caring-for-modern-and-contemporary-prints

Publications

Villafranca Soissons, I. ; Scala, C. Art Work : Conserving and Restoring Contemporary Art, édition anglaise ; Villafranca Soissons, I., Ed. ; Scala, C., Traducteur ; Marsilio : Venise, 2018.

"Matière vivante : La préservation des matériaux biologiques dans l'art contemporain".

Une conférence organisée par le Getty Conservation Institute (GCI), le Museo Universitario Arte Contemporáneo (MUAC) de l'Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM) et la Escuela Nacional de Conservación, Restauración y Museografia (ENCRyM) de l'Instituto Nacional de Antropología e Historia (INAH), Mexico, 3-5 juin 2019 (link)

NOORDEGRAAF, JULIA, et al, éditeurs. Préserver et exposer les arts médiatiques : Challenges and Perspectives. Amsterdam University Press, 2013. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/j.ctt6wp6f3. Consulté le 27 juillet 2022.